T'es qui toi ... ? 2/2

Publié le par Karc'Hariad

« Mademoiselle ?

Oh, mademoiselle !

Hep,  vous, là-bas ! Vous êtes qui et vous faites quoi sur MA coursive ?

Vous venez voir un détenu ? Ça, je me doute bien que vous n’êtes pas là pour cueillir des champignons ! Encore que cela puisse se faire, en fonction du détenu que vous voulez rencontrer … Non, ne cherchez pas à comprendre.

Mais vous ne m’avez toujours pas dit qui vous êtes. Ah ? Vous êtes l’assist …. Heu,  la CIP ?

Alors là ma petite dame, comme vous êtes nouvelle dans cette prison, il va falloir que je vous affranchisse d’une petite chose : il ne faut jamais se promener sur ma coursive quand je ne suis pas là, même si un collègue vous ouvre la porte. Faut pas, point. C’est comme ça. Vous venez d’abord me cherchez. Si je ne suis pas là, je suis soit au café soit aux toilettes, de toutes manières c’est au même endroit. En plus, comme c’est moi qui ai les clefs des cellules, vous n’auriez pas été loin sans moi …

C’est vrai, on sait jamais ce qu’il peut se passer avec les détenus, et tout ce qui arrive sur ma coursive est sous ma responsabilité. Ça se passe comme ça dans la M.A. De plus, il me faut toujours savoir qui est présent ou pas dans mon couloir et ce qui arrive à chacune de mes « ouailles ». Cela me permet de gérer au mieux ma détention.

Que dites-vous ? Vous n’êtes pas une nouvelle mais vous êtes titulaire et affectée ici depuis deux ans déjà ? Et on ne s’est jamais rencontré ? C’est vrai que vous les CIP, passez beaucoup de temps devant vos ordinateurs ou à brasser des papiers et ne faites que des horaires de bureau … A ce propos, pourquoi êtes vous ici ? Vous avez perdu un pari avec vos collègues et c’est vous qui vous coltinez les « visites à domicile » ?

Pardon ? Je suis un sale QUOI ?

Bref, passons. Quel détenu venez vous voir et pourquoi ? Qui, lui ? Ah, vous venez voir « Malabar » !!

Pourquoi on l’appelle comme ça ? Mais non, ce n’est pas parce qu’il est baraqué et franchement patibulaire, c’est parce que dés que l’on pose les yeux sur lui, il se met à parler, à raconter sa vie, et on n’arrive plus à s’en défaire tellement il est collant. Un vrai chewing-gum. D’où le surnom de « Malabar ». En plus sa vie est d’une tristesse … à croire que tous les malheurs du monde lui sont déjà arrivés, et que bien entendu ce n’est jamais de sa faute. Toujours un concours de circonstances ou alors l’incompétence de son avocat ou la sévérité du juge. Classique quoi. Quand il commence à vous raconter sa vie, attendez-vous à un grand moment de solitude face à son monologue. C’est tellement long et fastidieux que « Guerre et paix » à coté fait figure de mode d’emploi pour un interrupteur.

C’est une bonne nouvelle que vous venez lui annoncer au moins ? Non, sa demande de PS pour raison familiale a été refusée ? Pfff … ça va le mettre dans un état … Enfin au moins, il arrêtera de m’emm… 8 fois par jour avec ça. Il recommencera juste à se plaindre sur un autre registre, en vous rajoutant dans la longue liste des gens qui ne l’aiment pas et qui lui en veulent. J’y suis aussi évidement.  

Dites, ça vous dirait de revenir le lui dire cet après midi plutôt ? Que ce soit mon collègue qui se tape la corvée ? Non ? Bon, tant pis.

Pardon ? Je ne suis pas charitable et je n’ai pas de cœur ? Si j’en ai un, je l’ai laissé dans mon casier avec mes effets personnels avant de prendre mon service, c’est tout.

Alors il va falloir prendre des pincettes pour le lui dire, et ne surtout pas vous laissez embarquer à l’écouter.

Comment ? Vous connaissez votre métier ? Je n’en doute pas, mais savez vous que ce détenu est sous « subu » et traité aussi par antidépresseurs ? Savez vous qu’il utilise une partie de son traitement comme monnaie d’échange avec les autres détenus et que du coup il est régulièrement en état de manque et qu’il pourrait ainsi réagir bizarrement ou violement à une réponse négative à une PS qu’il attendait comme le messie ?

Je les connais, je passe des jours, des mois, voire parfois des années avec eux, à leur contact. Je sais dans quel état moral ils sont, enfin j’essaie de le deviner.

Personnellement, j’ai pas envie de devoir gérer un détenu qui se coupe ou s’accroche ce matin suite à une mauvaise nouvelle, surtout que l’on est en sous-effectif. Je n’aurai pas le temps de garder une attention particulière sur lui.

 Cet après midi, l’effectif des surveillants sera complet, ainsi on pourra garder un œil sur lui plus efficacement et le placer en surveillance spéciale si l’officier le juge nécessaire. D’ailleurs, il faut que je le prévienne, et que j’indique votre visite et son motif dans le cahier de liaison.

En parlant de PS, c’est vous qui gérez le détenu Untel ? Parce qu’avec lui, sa PS a changé sa vie : il a ainsi pu aller à son entretien d’embauche. Et le réussir. Du coup, son comportement en détention s’est radicalement changé. Le jour et la nuit. Maintenant, il est poli avec nous, s’entraine à la ponctualité et à l’hygiène et fait même en sorte que l’on ne soit plus obligé de répéter 3 fois la même chose pour qu’il daigne enfin le comprendre. Il met aussi de la distance avec ses potes, ceux là même qui l’entrainent « vers le bas ». Je crois qu’il désire vraiment prendre un nouveau départ. Il lui fallait juste un petit coup de pouce, et tout à changé pour lui, ainsi que pour nous qui le surveillons. Espérons qu’il puisse obtenir son placement en semi-liberté afin de sortir d’ici au plus tôt. Peut-être que lui, on ne le reverra plus entre nos murs …

Mais si, faut y croire, on est en période de vœux, de miracles et de bonnes résolutions ! »

Publié dans En dehors des murs

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T
<br /> Honte de la République? Le contenant n'englobe pas forcément le contenu vous savez Karc'Hariad.<br /> <br /> Nos politiques commenceraient-ils à faire de l'auto-critique ? Bizarrement, j'en doute, et finalement, cette expression les renvoie à leurs propres échecs puisque, qui a rendu ces espaces de la<br /> sorte, si ce n'est eux? Honte à eux, oui !<br /> <br /> <br />
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K
<br /> Alors là, je suis tout à fait d'accord !!<br /> <br /> Cela fait des dizaines années que les diverses politiques pénitentiaires appliquées par les divers gouvernements, quelques soient leurs bords, ménent l'Administration Pénitentiaire à son état<br /> actuel.<br /> <br /> Des lois telles que celle dite des "peines plancher" saturent tant et plus une situation des plus explosives.<br /> <br /> Cela s'appelle "mettre la charue avant les boeufs" : faire la loi, et réagir à ses conséquences une fois que l'on en arrive au point de rupture.<br /> <br /> Mais bon, ceci est une spécialité bien française : trouver et désigner un coupable autre que soit même dés que quelqu'un soulève un liévre et dénonce quelque chose.<br /> <br /> J'attends patiement LE politicien qui trouvera utile de se demander pourquoi des gens se retrouvent en prison, et qui aussi tentera<br /> de trouver un début de solution pour commencer à "fermer le robinet" ; c'est à dire faire en sorte que des individus donnés ne se retrouvent plus en situation d'aller en prison.<br /> <br /> Victor Hugo n'a t il pas dit : "une école qui ouvre c'est une prison qui ferme" ?<br /> <br /> Les médecins disent bien aussi un truc du genre : "savoir guerir c'est bien ; savoir prévenir c'est mieux".<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Bonjour à tous,<br /> <br /> C'est intéressant ce deuxième volet rédigé par vos soins, Karc'Hariad, cela donne une suite au billet de CIP12, somme toute logique.<br /> <br /> Vous percevez votre fonction comme je ,peux percevoir la mienne, avec autant que faire se peut, toute votre humanité, et ce malgré les réactions de certains collègues et le côté parfois usant de la<br /> chose. L'uniforme ne doit en rien retirer de ce qu'on est bien qu'il faille savoir se préserver aussi. Face à vous, des êtres humains, qui ont chacun leur parcours, leurs difficultés, leurs<br /> erreurs, leurs choix, leurs fardeaux. Ils ne ressemblent jamais finalement qu'à nous-memes en quelque sorte mais jusqu'à un certain point, pour certaines choses. Qui sait ce que nous serions à cet<br /> instant, si la vie nous avait réservé d'autres aléas ? Pas évident à savoir. Certains ont de fortes personnalités et résistent, d'autres se laissent emmener vers le fond au moindre incident. La<br /> faiblesse fait partie de l'humanité et personne ne peut se prévaloir de ne jamais la rencontrer, parce qu'elle arrive bien souvent sans crier gare.<br /> <br /> Votre fonction de surveillant a une utilité publique dans le sens où qui veut aller loin, prépare l'avenir. Dans la mesure ou vos hôtes n'y font qu'un passage pouvant être bref, vous avez malgré<br /> tout une vraie fonction auprès d'eux, même si je sais fort bien qu'en l'état, vous n'êtes malheureusement, dans certains établissements pénitentiaires, réduits qu'à l'état de porte-clés de la<br /> République.<br /> <br /> Les relations surveillants / CIP ont l'air d'être complexe tant il est vrai que cela fait co-exister deux approches quelque peu différentes de la détention : l'une axée plus sur la sécurité,<br /> l'autre plus sur le côté social, réinsertion. Trouver un juste équilibre entre les deux n'est guère aisé, d'autant que l'un peut facilement s'opposer à l'autre.<br /> <br /> Bonne soirée<br /> <br /> <br />
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K
<br /> Bonjour Tinotino,<br /> <br /> merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Effectivement, se retrouver de l'autre coté de la grille peut arriver à tout le monde, volontairement ou non, victime d'un concours de mauvaises circonstances.<br /> <br /> Cela me fait trés plaisir d'entendre dire que mon métier a une utilité publique ; surtout aprés avoir été traité de "honte de la République" par le Président lui-même.<br /> <br /> Bonne journée.<br /> <br /> <br />
P
<br /> Bonsoir Karc'Hariad,<br /> <br /> je suis désolé, votre message, et surtout vos réponses me donnent envie de vous donner plus de travail : vous dites ne connaitre que les MA. Comment ça se passe ? C'est un choix de votre part de ne<br /> pas avoir demandé d'autres types de détention ou c'est du à des principes abstraits de l'AP ?<br /> <br /> En tout cas, même s'il est indispensable de vous protéger durant vos postes, j'espère que vous pensez à le rouvrir en partant. Quand vous dites que certains de vos collègues ne ressentent rien, on<br /> en vient à craindre que ce soit de même dans leur quotidien ...<br /> <br /> <br />
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K
<br /> Bonsoir PiTre,<br /> <br /> N'en soyez pas désolé, cela fait partie de mon métier : en tant que Fonctionnaire d'état, j'ai le devoir de satisfaire aux demandes d'informations des Citoyens (article 27 du 13 juillet 1983).<br /> <br /> pour ce qui est de mes Collégues, je ne saurais trop dire.<br /> <br /> En fait, je viens de changer d'établissement. D'une MA parisienne (MAFM pour tout dire, en clair Maison d'Arrêt de Fleury-Mérogis), je suis passé à un CP provincial et je suis toujours en<br /> phase de découverte de ce nouvel établissement. Je balance actuellement entre la MA et le CD, en fonction des besoins.<br /> <br /> De mes collégues parisiens, je n'ai gardé que 2 ou 3 contacts. Mais j'ai pas un tempérament à me faire beaucoup d'amis (surtout pro), aussi je ne peux réellement m'exprimer sur la vie privée de mes<br /> Collègues. Pour l'anecdocte, il est trés fortement conseillé par l'ENAP aux élèves-Surveillants de bien différencier la vie privée et la vie professionnelle. Cela permet de garder plus longtemps un<br /> "certain équilibre" psychologique.<br /> <br /> Pour ce qui est du choix entre MA et CD, cela dépend principalement de la localisation géographique. Les SVT changent principalement d'affectation non pas en fonction du type de prison mais en<br /> fonction de leurs affinités géographiques. En clair, on cherche à se rapprocher de là où on se sent le mieux (famille, région natale, ...).<br /> <br /> Par exemple, j'ai choisi un établissement qui me plaçait à équidistance de toute ma famille.<br /> <br /> Les quelques contacts Surveillants que j'ai gardé cherchent eux à se rapprocher du Nord de la France, car c'est de là qu'ils viennent et doivent pour cela attendre quelques (dizaines d')<br /> années.<br /> <br /> La ville où je viens d'atterrir, je ne la connais pas vraiment. Voir pas du tout. Mais je ne pouvais pas aller prés de chez moi à moins de devoir attendre une mutation environ .... 15 ans.<br /> <br /> La direction de ma nouvelle prison semble enclin à m'affecter sur la MA car j'en connais le fonctionnement de base, même s'il y a énormément de différences entre un établissement parisien<br /> et un établissement de province.<br /> <br /> Pour ce qui est de mon choix d'origine entre MA et CD (nottament), cela fera l'objet d'un article sur lequel je suis en train de travailler : "Mais qu'est ce que je fous ici ?". Il est presque fini<br /> ... En fait, je bossais dessus quand vous avez posté ce commentaire.<br /> <br /> Oui, je sais : je ne suis pas trés prolixe ces derniers temps. Je suis le premier à le déplorer. Mais là, maintenant, je n'ai plus à gérer ET un déménagement, ET une nouvelle affectation ET divers<br /> autres problèmes. Aussi, je pense pouvoir être un peu plus présent sur ce blog et ailleurs.<br /> <br /> Bonne soirée PiTRe.<br /> <br /> <br />
P
<br /> Belle plume très émouvante.<br /> Vous avez raison d'enfermer votre coeur, il n'a rien a faire entre ces quatre murs, tant que vous gardez votre humanité (ce que vous faîtes) vous êtes sauvés.<br /> Je pense que vous avez trouvé la meilleure façon d'exercer votre métier dans les conditions inadmissibles que vous décrivez. Merci pour ce que vous faites et surtout sur comment vous le faites.<br /> <br /> <br />
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K
<br /> Bonsoir Pahdoc,<br /> <br /> Merci.<br /> <br /> Au jour d'aujourd'hui, il n'y a encore eu aucun détenu qui m'a tenu vos propos ; et pourtant j'éxerce ce métier depuis déjà presque six ans.<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Bonjour<br /> Votre article et surtout votre commentaire me font voir votre métier d'une façon totalement différente. Et puisque nous sommes en période de voeux : Puissent - ils être nombreux comme vous dans les<br /> prisons.<br /> <br /> <br />
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K
<br /> Bonsoir Dan,<br /> <br /> Merci pour vos voeux.<br /> <br /> Je dois toutefois confesser (à nouveau) le fait que je ne connais que les Maisons d'Arrêt (MA), et que la vie, la gestion de la détention, les relations surveillants-détenus sont trés différentes<br /> dans les Centres de détention (CD ; là où travaille CIP 12) et les Maisons Centrales (MC).<br /> <br /> Néanmoins, je ne rencontre pas beaucoup de collégues en MA qui partagent mes points de vues. Je pense (au mieux !) qu'ils se cachent, comme je le fait moi même.<br /> <br /> Peut-être que la nouvelle GdS aura assez de temps et de moyens pour réformer l'Administration Pénitentiaire autrement que par des voeux pieux ? Comme je l'ai dit, nous sommes en périodes de<br /> bonnes résolutions ...<br /> <br /> Je suis pourtant "un jeune" dans l'AP, mais je n'y crois déjà plus.<br /> <br /> C'est cela aussi, ce métier.<br /> <br /> <br />